jeudi 27 mars 2014

Lecture au passage du diplôme de fin d'études 1991 Beaux arts Toulouse



Messieurs dames du jury, messieurs dames du public, 
Monsieur du tuteur:
(Balbino Giner, http://www.balbinoginer.fr/ )

Je voudrais commencer cette agréable & douce rencontre par quelques éléments autobiographiques qui nous aideront, sans aucun doute, à mieux comprendre les liens qui m'unissent à mon oeuvre et  ce qui en fait la trame.


Il nous faudra tout d'abord savoir que ma naissance se situa onze jours & neuf heures avant la première diffusion d'un spot publicitaire sur les petits écrans de la télévision française.

En effet cette dite naissance eut lieu le 20 09 1968 à onze heures en la ville de Périgueux, tandis que l'évènement auquel je me réfère ici eut lieu le 01 10 1968 à vingt heures, en de nombreuses villes de France. Nous pouvons ici remarquer en passant que l'heure de cette diffusion correspond de nos jours à ce qui est appelé "La grand messe du 20h": le journal télévisé. Ce spot fut consacré pour l’anecdote au fromage Boursin. Nous reviendrons plus tard sur ce court préambule et  son importance à mes yeux.

Nous quittons cette bonne ville de Périgueux, neuf mois après mon apparition sur les ondes de la vie, pour la charmante cité balnéaire de Wimereux, Pas de Calais.

Ah ! Belle & douce enfance des bords de mer où comme jardin d'enfant nous avions la digue & cette étendue de sable aux pieds des terrasses, ce à quoi venait se rajouter aux basses marées cette douce plage aux dimensions variées et infinies. Courrions ! pour mouettes & goélands élevant poissons & cerfs-volants, piétinant crabes moules & autres dans la joie la plus intense, grisés par l'air du large.
   C'est à cette époque, Mlle, Mme, Mr, que je rencontrai pour la première fois, celle que plus tard j’appellerai mon amie la télévision. C'est en effet ma chambre qui fut choisie comme lieu familial de communion "télévestique". C'est là que se déroulait notre vie familiale, père non compris. Je choisirai cet instant pour vous parler un tout petit peu de cette famille, haut lieu de l'évolution personnelle s'il en est.

    Ma très chère mère était née le 20 09 1936 dans la très subtile ville de New York. Elle descendait d'une famille plus qu'aisée du Connecticut en Nouvelle Angleterre, terre d'élection du puritanisme, avec ce que cela induit en éducation difficile pour une jeune fille. Malheureusement pour ma bourse & mon futur héritage  elle fut envoyée en université de Berkeley (Californie) où elle devait rencontrer Alan Ginsberg & tant d'autres précurseurs de la Beat Génération  ainsi que leur nouveau rapport à l'argent, et en particulier à celui de ma mère...Cela en était fini de la "High society". Bonjour la bohème !
Quelques années plus tard, elle devait rencontrer mon père, Philip O'connor (http://en.wikipedia.org/wiki/Philip_O'Connor), Né en 1916 d'un père inconnu irlandais & d'une mère anglaise....
Vie tumultueuse & agacée, ponctuée d'alcool & de dames.
Écrivain poète, il est tout a fait fauché en 1966-67 à Londres, quand il est introduit auprès de ma mère en un état pré-clochard. Peu de temps après je suis conçu dans un hôtel en baie de Cancale.

J'en reviens maintenant à ma chambre. C'est dans celle-ci que se déroulèrent les années importantes de ma vie, aidé en cela par le merveilleux climat Manche-trans-Manche.
Ici se trouvaient deux lucarnes vers le plus loin; la fenêtre & la télévision  Je remarquai tout de suite que la seconde intéressait davantage que la première. Mon frère, ma soeur y venaient en ma compagnie méditer, observer, ainsi que se restaurer les mercredis, Weekend & jours tristes. Ma mère m'y retrouvait aussi pour les programmes du soir, en particulier les vendredis & dimanches. Se faisant je m’endormais au son des Ciné-club & cinéma de minuit, j'étais bercé par le son des violons du cinéma classique américain de sa jeunesse. Je découvrais ainsi mes premiers référents au bonheur et au malheur extérieur  Quelque chose de suave, de velouté, de profondément intense & condensé où seule la passion avait droit de cité. Nous ne trouvions pas là de personnes aux paroles banales & a-poétiques, aux démarches inesthétiques, aux sourires tordus & portant la misère du quotidien sur leur blêmes visages.
Non, tout était spectacle, émerveillement, amour naïf & déchirant, trompettes assourdissantes répondant aux violons envoûtés, la mort était propre, discrète, sans grand intérêt & l'amour cause de tout !

C'est en ce cocon que se faisait Maxim O'Connor.

De ces temps peu reculés, je garde aussi en moi les tonnerres de la voix paternelle  soumise au vin rouge, rythmée par Piaf, Wagner & "hit the road Jack", stimulant au repos de sa créativité et à certaines de mes angoisses ainsi activées. Un peu en biais, face à lui, à l'étage en dessous, se situait la compréhension compatissante de sa muse ma mère: Le père considéré de par elle comme un type un peu loufoque & drôle, mais surtout n'en faisons pas un drame, surtout pas un drame.
Cette notion de non drame, d’anté-tragique drainé par les yeux de ma mère sur lui et sur nous, ajoutée à ces films, surajoutée aux sarcasmes & aux ironies de mon père sur nous, ceux de l'étage inférieur, donnent je pense de solides bases à cet état d'esprit qui est le mien et que je partage avec ma peinture.
 Nous pouvons aussi y adjoindre l'artifice des actes présentés et filtrés par la T.V; Le drame, le meurtre, la torture, le génocide, l'insecticide, l'accident de voiture ou d'avion, la nappe de pétrole, les 113 ans de miss monde, bref, tous les grands évènements énoncés comme tels, je les observais du fond d'un sofa, ou du plus profond de mon lit avec en accompagnement des fraises à la crème, un chocolat chaud ou un petit plat savoureux. Nous pouvons alors résumer cela par une grande & belle idée: la compassion fainéante et je m'en-foutiste pour les drames de l'humanité.
Tout ceci, j'en suis conscient, n'a rien de beau: ne nous enseigne t'on pas à aider son prochain et à souffrir au nom de sa douleur ?
N'appelle t'on pas des gens comme moi des égoïstes  des dégénérés du coeur ? Je me dis qu'avec l'âge  et la connaissance réelle des choses de la vie, je deviendrai bon... Paradoxe: il est si bon d’être bien...

S'il nous fallait maintenant parler de référents culturels autres qu'intimes, je parlerais de dessins animés, de séries T.V, de publicités, de femmes & d'amour...& de quelques lectures; Je précise quelques car mon goût pour la lecture n'est arrivé que fort tard, le 08 Oct. 1989 très exactement, ceci grâce à mon amie la télévision. Que voulez-vous, lorsque dans certaines publicités nous pouvons assimiler une image en moins d'1/20ème de seconde sans effort & qu'il nous faut 10 secondes pour lire une trentaine de mots, plus l'effort de concentration, le plus simple est le mieux ! 
Mon travail plastique est souvent construit sur le brouillage, l'amalgame, la condensation des images: Le dépôt sur une surface "morte", une traduction de l'image en hyper mouvement existante en télévision.
 Ici & maintenant deux paragraphes écrit par J.M Pradier dans "Le téléspectateur face à la publicité": "Le prodigieux développement technique & économique de l'imagerie électronique est en voie de provoquer un bouleversement neuro-culturel aussi important que fut l'adoption par les grecs de l'alphabet phonétique. Le foisonnement du visuel sur écran, et le découpage en tranche temporelle d'objet, jusque là perçus en continuité, violentent les apprentissages neuro-biologiques mis en place depuis ce temps".
 Il s'agirait donc, au travers de mes tableaux, d'un geste de mise en forme d'un espace inconsciemment ou pas ancré en moi de part la soumission de mon oeil à l'écran au fil des ans, et plus particulièrement à l'action neuro-biologique du spot publicitaire & de sa structure.
 Ici un second paragraphe, d'une manière plus adéquate à mon sujet. Onze jours & 9 heures avant ma naissance, les habitudes perspectives & cognitives des téléspectateurs commencent a être malmenées par l'afflux massif des stimulations audiovisuelles dans la forme et le contenu. La durée et le temps de présentation n'allaient bientôt plus être adaptés aux caractéristiques biologiques & culturelles actuelles des récepteurs que nous sommes.. Une nouvelle génération perceptive se mettait en marche, créant ainsi un fossé entre ceux de la TV & ceux d'avant.
 Les motifs de ces tissus se veulent miroir de cette image que j'ai "arraché" aux écrans des dessins animés d'antan, où le moi se retrouvait en ces personnages qui parcouraient l'espace de mes rêves en quête d'aventure & d'amour.
 L'image ne parlait pas, mais était en moi, était moi. Elle m'emmenait au delà de l'écran... et de ce que j'y trouvais.
 Le quotidien était repoussé par la force d'un petit canard, ou par les giga lasers destructeurs d'un quelconque robot nippon. .
 Ce que je cherche au delà de mes tableaux, c'est un lien comme celui-ci, où les formes, les êtres  les couleurs s'harmonisent pour lutter contre un éventuel ennemi: le quotidien de l'autre. 
 Pourquoi ces petits héros gagnaient t'ils sans cesse ?Pourquoi les aimions-nous tant ? Pourquoi les vouloir voir sans cesse & chaque jour ? 
 Je cite ici Baudrillard, dans son livre "De la séduction": "Elle ne comprennent pas que la séduction représente la maîtrise de l’univers symbolique, alors que le pouvoir ne représente, lui, que la maîtrise de l'univers réel." 
  Baudrillard nous parle ici des féministes orthodoxes qui, selon lui, convoitent le pouvoir de l'homme, CAD celui de la maîtrise de l'univers réel  quotidien, ceci au détriment du vrai pouvoir, celui de l'univers symbolique, celui de la séduction.
  Nos petits héros tenaient de celui-ci: Sans réel pouvoir, par la force de nos coeurs, ils l'emportaient sans cesse, nous appelaient à revenir. Plaire, séduire, attirer l'autre, je m'en vais chercher des recettes.
  Tout d''abord, condensons & au travers de lieux communs, répétons les signes & motifs.
Comme le notait Freud, le plaisir repose sur la répétition & le retour au connu: "Il est de notoriété publique, écrivait il, que la rime, l'allitération, le refrain & autres formes de la répétition des sons en poésie, exploitent cette même source de plaisir à retrouver le connu"... N'avez-vous pas déjà vu quelque part, chers messieurs dames, ces petits personnages, ou ces motifs, ces couleurs qui participent de mes tableaux ?
Ne les avez-vous pas quelque part ancrés en vos mémoires ?
   Après la répétition  amenons l'effet-brio, ou ce qui est appelé l'illusion de la séduction (The vividness effect; l'effet vivifiant) ajoutons autour d'une aspirine une aura de vertfluo & la voilà plus belle, plus efficace, plus forte, plus énergétique: Mieux !
  Poursuivons avec l'effet bébé: cette pulsion à toucher le nouveau-né par tous les sens, à tous les coins; nous retrouvons cet effet dans de nombreuses pratiques occidentales de graphisme, dans certaines cartes postales de Noël, dans par exemple les dessins animés de W. Disney, mais aussi dans les choix de certaines chanteuses ou présentatrices d'émissions TV ou même encore davantage dans la création & l'élevage du pékinois, un objet qui est un parfait substitut pour la réaction maternelle inassouvie des vieille dames.

  Je vends un produit que lui-même annonce & promeut. Ce produit est mon rêve, mon assouvissement esthétique, onirique.
   Plaire plaire plaire, offrir un espace de reconnaissance, de souvenirs au temps perdu où chacun peut se retrouver dans le fil de ses rêves & désirs. Un champs vierge d'idéo-structure où le droit de chacun, libéré des contraintes adultes & adultères se promène au fil des rencontres du souvenir d'enfance. Où nous étions inconscients du "il faut", du "il ne faut pas", du "tu ne dois pas, tu ne devras plus !"
  Où nous étions gâtés, où pour faire comprendre notre désir de quitter un restaurant, nous montions sur table & du plat du pied percutions la fourchette qui tient, le couteau qui coupe, l’assiette qui contient, le verre qui ne débordait plus. Sur table nous étions étrangers, inaccessibles,  en spectacle du désir pur, sur scène privée.
   La différence tient-elle, et j'en aurai terminé, au fait que mon père riait, me félicitait, aurait voulu me rejoindre & que ma mère me faisait simplement promettre de ne plus recommencer ?
  Ah les promesses d'enfants... Mais la raison l'a emporté sur le jeu, elle s'est vengée & la promesse a été tenue, mais pour combien de temps encore?

                                         Maxim O'Connor, Toulouse, Mai 1991